(Les) Promenades

Je venais souvent flâner ici. Jamais rien dans les poches, jamais rien de mieux à faire. Je marchais, en regardant les gens. En les étudiant. Aucune affection pour eux, cependant, ne me poussait à les dévisager, jour après jour. C'était la haine qui guidait me yeux et me faisait scruter leurs faciès débiles. La condescendance qui me faisait les insulter, intérieurement. L'ennui, aussi. Haïr permet de se changer les idées. Personne ne m'attendait nulle part, ni chez moi, ni ailleurs. De plus, je ne possédais pas le talent qui permettait à mes semblables de se divertir, cette imagination vivante et bizarre qui leur soufflait: «Tu aimerais bien bricoler.»

«Tu aimerais bien écrire. Ou lire.»

«Tu aimerais te battre. Et boire.»

Non. La seule chose, à cette époque, qu'il m'ait importé d'accomplir était de marcher. Une grande marche taillée en plusieurs actes par les habituels contretemps que sont le sommeil et la nécessité de manger, bien entendu. Quoique «accomplir» soit un bien grand mot, je l'admet, vu la futilité d'une telle entreprise. Même en la pratiquant mieux qui quiconque. C'était le cas. Personne ne pouvait marcher plus longtemps que moi. Une fois que mon esprit se concentrait sur les visages de mes pairs, je pouvais avancer presque indéfiniment. Des jours durant je me privais de nourriture, je m'interdisais le repos autant qu'humainement possible. Puis au delà. J'accumulais les pas tout en haïssant chaque être humain croisant ma route. J'enviais leur naïveté. Cette confiance aveugle en la vie qui resplendissait dans leur yeux. L'illusion imbécile d'être en sécurité tant que leurs cellulaires leur rappelleraient qu'ils étaient en vie. Une symbiose dégoûtante et salutaire pour une masse de ratés.

Il n'y a pas de téléphones, la ou vous allez.

J'ai marché, chaque jour, pendant un peu plus de...cinq? Dix ans? Les évènements propres à une vie humaine se succédaient...signes imperceptibles d'une vie se déroulant...se déroulant... Je ne le remarquais pas. Jusqu'à ce qu'il arrive. L'Eurynome. Personne ne l'a vu s'approcher. Il voyageait, invisible, occupant un espace intouchable et ainsi caché il put sournoisement encercler les environs...

Je peux te sentir, Eurynome. Ton odeur est subtile mais bel et bien présente. Ne vois-tu pas que je marche pour toi depuis des années? Que sans le savoir, tout ces pas je les ai faits pour te les éviter? J'attendrai. Fais-moi disparaître le dernier et je te donnerai en échange mon âme. Une servitude éternelle, plus durable que le temps lui-même. Une alliance survivant au minutes, aux heures! À la décrépitude propre au organismes vivants! Je serai ta colère, Eurynome. Et quoique tu n'en manque pas, je serai plus que tout ta RAGE. La substance immatérielle qui te permettra de briser les barrières entre le monde du visible et celui de l'inconnu...

Oui. Je peux le voir maintenant. Étant le dernier vivant, je peux le voir. Dehors, il entoure le bâtiment de sa masse ethérée, loin au-delà de ma rage primitive. Il me fait sembler insignifiant. Soit. Je préfère l'insignifiance qu'il me propose à celle de mes pairs.

J'ai assez marché. Eurynome! Je te sais avide de personnalités pouvant complémenter la tienne. Ensembles, nous pourrons aller beaucoup plus loin...




Lampadaire de piètre qualité

Son mascara coulait, la faisant ressembler à...
...en premier lieu il vit une pieuvre. Sa première pensée éveillée fut: «Mon dieu! L'enfer est habité par des pieuvres? Jamais je n'aurais imaginé...merde! Je suis mort.»
Il va sans dire que s'il avait vraiment trépassé, il n'aurait pu penser à sa propre mort, ni a une pieuvre, aussi démoniaque en apparence soit-elle. Telle fut sa deuxième pensée. Puis les choses redevinrent banales. Sa femme pleurait, dans toute sa féminité non-pieuvresque.
«Chéri! Je te pensais mort. Mon dieu, mercimercimerci. Tu vas bien? Je suis tellement heureuse, mon dieu merci. Merci mon dieu. Merci.»
Malgré sa capacité de raisonnement temporairement amoindrie, effet secondaire logique d'un violent accident de voiture, il comprit l'essentiel des remerciements qui pleuvaient au dessus de lui. En vie, donc.

«Génial. Je sens que le fait d'être ici va devenir une raison acceptable pour ne pas retourner au poste.»

Entre par une oreille, sort par l'autre.

«J'apprécie vraiment ce que vous essayez de faire pour moi, monsieur. Vraiment. Mais j'ai tué personne.
-Les preuves qu'ont nos adversaires sont beaucoup trop fortes pour que vous puissiez être considéré innocent. Même advenant que je mette au point la défense la plus incroyable du siècle dernier, vous serez condamné. Comprenez-vous au moins ce que j'essaie de vous expliquer?
-Ouais.
-Alors plaidez coupable. Avec un peu de chance vous ne serez pas incarcéré dans une prison où vous mourrez avant de pouvoir négocier une sortie prématurée. C'est le mieux que je puisse faire étant donnée votre culpabilité qui ne fait aucun doute.» L'avocat se passa une main au travers des cheveux. Ils étaient parfaits et auraient pu se passer de cet ajustement superficiel, mais pendant une fraction de seconde, il pût oublier le minable individu dont il devait assurer la défense.
«Je suis pas coupable, je vous dis! Pourquoi je devrais aller en prison, si je suis pas coupable, hein? Moi je crois que c'est vous qui comprenez rien, monsieur le juge.
-Avocat.» Il soupira. L'imbécile ira en prison. Ils choisiront la pire, vu la violence du meurtre qu'il a commis. Je n'ai pas besoin de cette tache sur mon dossier.
«Vous étiez couvert de sang.
-Logique puisqu'a côté de moi, il y avait un cadavre. Je suis pas un fantôme, le sang me passe pas au travers.
-Pour que le sang jaillisse d'un homme, il faut...
-Je vous dis que c'était Ace! Écoutez-vous quand on vous parle?!»

Ciel


Je regardai le ciel, entre deux tuyaux.
Teinté de rouge par la folie du monde m'entourant, il me semblait m'appeler et me rejeter à la fois. Gagné par son incertitude contagieuse, mon index se raidit encore un peu plus sur la détente. Le contact de l'arme contre ma tempe était froid et mes mains, moites. Le rouge du ciel et la froideur du métal seraient mes deux seuls témoins. Les deux seuls témoins de ma fin.
L'hésitation me tuait déjà de toute façon, mais un certain doute subsistait quant à la justesse de la décision que je prendrais. Allai-je vraiment me laisser aller à une telle faiblesse et succomber à l'appel d'une échappatoire aussi lâche? Aurai-je, dans le cas contraire, le courage de mettre un terme à ce dilemme? Courage et lâcheté, voilà un contraste que je pouvais maintenant me permettre d'observer dans toute sa complexité. Mon index se détendit d'un cran, alors que je me laissai aller à cette comparaison des plus réconfortantes, pourtant aussi, des plus angoissantes. Une goutte de sueur me perla dans l'œil. Je la chassai d'un geste maladroit, d'une main tremblotante. Puis, j'entendis au loin le tonnerre assourdi d'un coup de feu. Je vis, dans un état proche du rêve, les corps que j’avais vu tomber… J'en tombai moi-même à genoux, ma poigne se raffermissant sur l’arme qui devenait de plus en plus pesante. La chaleur d'une cartouche contre le froid du canon. Un marché honnête, sans attrapes. Je regardai l'éther une dernière fois, plongeant mon regard dans son infinie rougeur. Je contemplai la tuyauterie qui plafonnait la petite colline ou mes jambes tremblantes avaient flanché.
Je n'avais pas choisi de choir en ce lieu, sous ce ciel hostile. Je n'avais pas choisi de me traîner jusqu’ici. Je n'avais pas choisi de vivre et la possession de ma vie ne m’intéressait plus. Je pouvais choisir, par contre, une dernière chose. Ainsi, l'ordre fut lancé. De mon cerveau partit l'impulsion fatidique qui mettrait fin à toute l'incertitude, à toute mon impuissance.
Je me demandai, curieux, si finalement je ressentirais le froid de la balle ou la chaleur son impact avec ma tempe. Puis, le temps, comme il aime souvent le faire dans les pires moments, sembla s'étirer, s'étirer... si bien que je trouvai matière à m'impatienter. Un court sursis à ma délivrance, un agaçant contretemps qui...
J'entendis un bruit nouveau. Un bruit inconnu, agressant, tel le bourdonnement d'un insecte trop téméraire, prenant d’assaut mes oreilles. Ensuite le bruit devint plus fort. Ce n’était plus un insecte, mais le crissement de pneus sur l’asphalte. Son agression augmenta de plusieurs degrés. En temps normal, j’y aurais réagi en me couvrant les oreilles. Mais le temps me manquait pour cela. Rapidement, le bruit se métamorphosa de nouveau, devenant encore plus assourdissant et étrangement, plus humain. Cette fois, il me fallut creuser plus loin pour en trouver l’équivalent. Ce bruit me remplissait de hargne, me mettait hors de moi sans que je ne sache pour quelle raison. Je creusai de plus belle, augmentant sa clarté. Puis il fit ressortir tout ce qu'il me restait d'émotion. D’un seul coup. Car je finis par en trouver la provenance. Ainsi que la signification.
Le ciel se foutait de moi.
Je l'entendais, plein de sa débordante arrogance, se tordre de rire. Monsieur s'amusait de mon tourment. Se réjouissant de mon destin nouvellement scellé. Il pouffait, cet affreux croque-mort. Pouffait sans plus pouvoir s'arrêter, nourri à même mon désespoir. Je le maudis en pensée, encore et encore, une rage violente réveillée en moi une ultime fois par le morbide rire du firmament. Il rit de plus belle, empruntant un millier de voix différentes, et je sus qu'il était le porte-voix de tous les malheureux du monde. De tous ceux qui avaient fait le mauvais choix, comme moi. Il s’en servait pour me le faire regretter à l’avance. La cacophonie résultante inonda ma tête, Mon esprit se satura de l'horrible symphonie de milliers de personnes se lamentant à l’intérieur de ma conscience, me faisant vivre leurs propres maux, leur propre douleur. Et surtout, leur dernier souvenir, commun à tous, d'un ciel méprisant, d'un rire nourri de leur affliction. Pouvais-je ignorer cet affront? Pouvais-je cautionner ce parasitisme révoltant? Soudainement, je ne voulais que le mettre en défaut, supprimer la valeur de son rire. Le débat sur ma vie reprit de plus belle, son paradoxe nourri de ces nouveaux éléments. Dans les limbes de mes derniers instants, les raisons ayant guidé ma main vers mon trépas devenaient floues, futiles, ridicules. J'avais par mon geste tracé une frontière, et à la fois percé une brèche. Un trou béant donnant sur mon propre destin.
Le choix.
Ce qui ne m'appartenait pas plus tôt, que je poursuivais depuis si longtemps, qui m’était interdit, je l'avais retrouvé par ma mise à mort. Tel avait été mon choix.
Celui de mourir en pressant la détente. Une cartouche allait me redonner ce dont je me languissais tant.
Je paniquai, la rage faisant place à un sentiment de frayeur qui changea mon sang en acide brûlant, insupportable. Je pus sentir cette peur couler au travers mon corps, calcinant mes membres de l’intérieur. Tout ceci était absurde! Toutes ces voix, le crescendo de toutes ces souffrances qui m'étaient confiées, toute la hargne de ce rire ignoble... Se pût-il que je ne puisse plus leur rendre une quelconque signification? Se pût-il que je sois obligé d'abdiquer face à l'hilarité morbide d'un ciel couleur de sang? Mon doigt avait déjà mis trop de pression sur la gâchette, et j’assouvirais sa jubilation nécrophage. Très bientôt.
Je criai, surpris d’en avoir encore le loisir. Il arrive souvent que le temps semble s’écouler plus lentement. Quelquefois, il le fait vraiment, comme s’il nous donnait une pause. La mienne touchait à sa fin, et dans un instant, un ressort allait se déployer. J’aurais un trou dans la tempe, même si je refusais de laisser le ciel gagner, même si je refusais d’abandonner les gens qui par leur trépas m’avaient crié la stupidité de mon geste, et m’avaient fait réaliser sa gravité. Je refusais maintenant la mort et joint ma voix à la chorale funèbre.
Va te faire foutre, ciel ! Va te faire foutre !
La fenêtre se refermait. Il était trop tard.

Mauvais endroit, mauvais moment.

Sang. Du SANG! J'en ai besoin, j'en veux, j'en meurs! Mon énergie, je peux la puiser à même les plus insignifiants organismes. Leurs constituants me font familiers, je vois de quoi ils sont faits. Je sais! Et mon corps sait. Il les sent déjà en lui. Chaque os, chaque organe, chaque cellule! Chaque atome. Assimilés, distribués en moi. Energisé, renforcé. Ça marche, ça fonctionne et ça me vient tout naturellement. Ils sont maîtres ici, les insectes. Mouches, moustiques...j'ai soif. Très soif. Je les absorbe et les incorpore. Les attraper tous, les aspirer. Sang. Charogne. Je sens ces choses. Plus gros. J'ai besoin de plus gros, de plus remplissant.

Vous, madame, serez parfaite.

Où on se compare, et on se console. Des moustiques, aussi. (Bartleby 8.0)

Relaxer. Respirer autre chose que l'air putride de ses quartiers, voilà tout ce qu'elle désirait. Un choix facile lui avait été offert: d'une part elle pouvait demeurer cloitrée au milieu de ses murs, pourissants et gondolés par l'eau s'accumulant derrière et de l'autre elle pouvait s'aventurer dans les «grands espaces sauvages» que représentaient les quelques mètres carrés du «parc» mitoyen. L'air n'y était qu'un brin moins pollué et infecte mais voir le ciel lui faisait grand bien. Quelques personnes échappaient comme elle à la claustrophobie de leurs tombeaux urbains quoique aucun visage familier ne se trouve parmi eux. «Ça pourrait être pire,» pensait-elle. En effet. Certains n'avaient pas le privilège d'admirer le ciel au dehors, et ceux, rares, qui erraient entre deux rangées de tuyaux ne voyaient qu'un voile rouge écoeurant. Infectieux. «Mieux vaut être ici, malgré la puanteur.» Elle savait apprécier les petites choses. Tout en marchant sur la pelouse jaunâtre et infestée de vermine, se traînant les pieds, elle réfléchissait. Comme à beaucoup d'autres occasions par le passé, ses pensées l'amenaient au-delà des murs de son ghetto, la ou les vrais malchanceux, les vrais esclaves écoulaient leurs jours misérables sous un manteau de conduits. La vie dans les villes ne faisait pas d'épanouis, pas d'heureux. Moisissure, entassement, contrôle... Un paradis pourtant, comparé à la torture perpétuelle des gens recouverts. Bien entendu, elle-même ne pouvait accéder à leur sarcophage, étroitement surveillée et encouragée à me pas s'y risquer par les sbires des dirgeants. Mais les rumeurs...les rumeurs! Une guerre constante ayant pour enjeu autant les maigres ressources des territoires plafonnées que le contrôle de parcelles de tuyauterie. La maladie, la faim et le désespoir. La stagnation. La futilité. Les urbains chuchotaient tous les mêmes horreurs. Oui, ça pourrait être bien pire. «Apprécie ton minuscule parc grouillant de vers et de rats.» Avec cette pensée comme conclusion, elle estima son aventure réussie, prête pour un peu plus de tourments paraissant à présent bien insignifiants. Sa main écrasa instinctivement un moustique sur sa joue.

Ça pourrait être bien pire.

Pause détente

J'ai besoin d'énergie. Me laissant aller à mes expérimentations, j'ai épuisé mes réserves. Je dois apprendre à focuser mon attention sur les tâches les plus élémentaires. Mon intellect est d'une puissance bien au-delà du niveau dont j'ai besoin, il ne me suffit que d'apprendre à prioritiser correctement. Cela ne me posera aucun problème, plus tard. Dans l'immédiat, il me faut consommer.

Consommer rapidement et efficacement.

Radical! Ace, l'homme qui a des clous rouillés à la place du sang.

Ace est LE plus intense. Ace à des nerfs d'acier. Il n'a peur de rien. Ace mange des clés anglaises pour déjeuner.

C'est pas vrai, Ace? Bien sur que c'est vrai.

Voilà qu'il y a du sang partout. Quel bordel. Je n'ai pas vraiment eu le choix. C'est...dégoutant, vraiment. Mais pas assez pour que je m'évanouisse comme une lavette, non! Bien sur que non. Ace ne s'évanouirait pas, lui. Quoique... je ne me sente pas particulièrement bien.

Mais je pense à quoi, la? Naaaah. Je me sens TRÈS bien. Il faut que je fasse disparaître le corps. Ace! T'est où, Ace?

Ace va faire disparaître le cadavre aussi facilement qu'il se rase le matin avec un couteau de chasse. Ace est comme ça, la mort est une vieille compagne pour lui.

Pas léger, une fois mort. Merde, j'entends des sirènes maintenant. Ace! Aide-moi, fais disparaître le corps.

«Non.
-Quoi? Ace, arrête tes conneries s'il te plait.
-Non. Je ne ferai pas disparaître le cadavre.»

Ace à un sens de l'humour particulier. Subtil, parfois très sombre.

«Ace, allez. Prends-lui les pieds.»

Il est fort, aussi. Plus fort qu'un ours! Il casse des briques dans son sommeil, sans même s'en rendre compte! C'est génial.

«Ouvrez cette porte, ou nous devrons l'enfoncer!»

Voilà la police. Merde, merde, MERDE. Je voulais pas le tuer. Je l'ai pas tué, en fait. Ace l'a fait.
Son sang est plus froid que de la glace. Il devrait m'aider puisque toute cette histoire est son problème. J'y arriverai pas seul.

«Tu fous quoi, Ace? Allez, aide-moi à balancer le foutu corps par la fenêtre. On nettoiera ton bordel après.
-Non.
-Les blagues, plus tard. On est dans la merde, Ace.
-TU est dans la merde.
-Hein? Comment? Ace...»

Oh, oh! J'entends la porte du rez-de-chaussée casser. Je suis couvert de sang, je ne peux pas être vu! Et ce crétin, la, qui reste planté par terre, mort! Fallait pas nous provoquer, moi et Ace!
Tu est mort maintenant, et moi pas. Ça t'apprendra.

«Ace! Combats les policiers! Allez, descends leur casser la gueule, c'est rien pour toi!
-Pas cette fois, mec. Tu joues seul et je me casse.
-Ace! Où tu vas?»

Je le crois pas, il s'enfuit! En plus, il à laissé tomber son super chapeau, celui qui lui donne tellement de classe. Mais il reviendra. Ace ne laisse pas tomber ses potes, jamais. Il doit avoir une bonne raison de partir.

«A terre, à terre!»

Je crois que je vais faire un tour en prison. C'est pas grave. Aïe! On se calme!

Je leur dirai que c'est sa faute à lui. Ace va comprendre.




Commandant Bartleby

Je me réveille enfin! Accompagné dans ma renaissance par une douce mélodie, celle du silence. Régnant en maître sur ma personne, seul capitaine et matelot, seul chef d'orchestre. Très étrange, la capacité de réguler soi-même les activités d'un corps et d'un esprit en entier. C'est un peu comme de se rendre compte que l'on respire. Pendant quelques secondes, ladite réalisation nous rend responsable du mécanisme et puis, aussi soudainement et sans que l'on s'en aperçoive cette fois, le subconscient reprend son travail. En coulisses, subtilement. Mais plus maintenant. Chacune de mes respirations est consciente, chacune des cellules de mon organisme obéit à des instructions calculées. J'étais au bord de l'épuisement il y a quelques minutes, et je le suis toujours, mais mes yeux de tentent plus de se fermer contre ma volonté. Ils ne le feront plus, tant et aussi longtemps que je ne le désirerai pas. Je pourrais mourir de fatigue, m'écrouler sans vie sur le sol avant de fermer les yeux! Cela pourrait m'arriver, si je ne suis pas prudent. Le nombre de processus à gérer est étourdissant. Un autre que moi aurait trépassé ne serait-ce qu'en se retrouvant égaré dans sa propre fabrique mentale. Je dois mettre un peu d'ordre dans la mienne à présent. Catégoriser, répertorier et isoler les comportements importants. Identifier et éliminer ceux qui gaspillent mon énergie. Penser est difficile avec le désordre qui habite mes nouveaux quartiers, mais une fois que j'aurai tout mis en place je pourrai continuer ma longue marche vers...

Vers...

...peu importe ce qui se trouve à l'endroit où je vais, infiniment loin. Je suis le seul qui puisse s'y rendre.

Où des imbéciles entravent la justice

«Un instant! Non, arrêtez-vous une seconde. Stop!» 

Ces interrogatoires devenaient lassants, mais plus il les conduisait, plus les informations qu'il en retirait devenaient farfelues. Plus elles se corroboraient mutuellement. Soit cette folie est contagieuse, soit il s'agit du canular le mieux monté et le plus stupide dont j'aie été la victime en trente années de service policier. Il ne savait plus trop comment gérer la situation, tant elle le prenait par surprise. 

«Vous avez dit quelque chose à propos d'un homme. Un homme qui semblait essayer d'attraper des mouches. C'est bien les termes que vous avez utilisés, n'est-ce pas? Un homme qui essayait d'attraper des mouches?
-Oui, je...c'est exact. Il balayait l'air de ses mains, apparemment en état d'ébriété. C'est important?
-Non, non ça ne l'est pas. Continuez je vous prie.» 

Une description pareille en tout points ressortait au cours de tous ses entretiens. Un homme qui chassait les mouches. Chaque fois il disparaissait après avoir commis un acte d'une violence si effroyable qu'il laissait ses témoins presque catatoniques. Sortir ces hurluberlus de leur mutisme demandait autant d'énergie que les si fatiguants interrogatoires. Et ils se multipliaient rapidement. La présence de l'homme de loi avait été requise bien plus longtemps que son horraire ne le prévoyait, une horde de gens supposément psychotiques envahissant son poste pour se déclarer témoins d'évènements imaginaires.

 «Bien sur que j'en suis certain! On n'oublie pas de sitôt un spectacle comme celui-la!»

Encore et encore. C'est horrible. Il croit peut-être vraiment à ce qu'il dit. Les autres aussi. Comment savoir s'ils sont fous? Comment savoir s'il ne sont que des farceurs imbéciles? Leur jeu est convainquant, mais...je suis mort de fatigue. 

«Je comprends tout à fait, monsieur. Je ne tente pas de discréditer votre parole, mais comprenez-moi à votre tour. Mon travail est de m'assurer que ce rapport soit bien rempli, et je dois considérer toutes les possibilités.» 

Au diable ces crétins. Je commence à voir double.

Dormir.

«Maintenant, veuillez m'excuser quelques instants.» 

Le policier exténué se leva, et prit soin de ne pas tituber devant son détraqué attitré. Les murs ondulaient autour de lui et il entendait son coeur battre à l'intérieur de sa tête. 

«Je vous revient tout de suite.»

 C'était un mensonge. Aussitôt qu'il fut sorti de la pièce, il convainquit un collègue de prendre sa relève, citant avec justesse les trois jours qu'il venait de passer au poste. Il y a une limite aux aneries qu'un homme peut avaler, et si canular il y avait, ce n'était plus son problème.

Sommeil.

Sur le chemin qui le menait chez lui, il s'endormit au volant et mourut en percutant un lampadaire.

C'est moi!

L'air est lourd de poussière, de rouille. Presque irrespirable. Il va sans dire que personne ne devait marcher au sein des murs de cette manufacture jusqu'a présent imperturbable. Peu importe. Je sais que ma présence ici n'est qu'illusoire. Un outil pour arriver à mes fins. J'entend mes comparses imposés crier:

 «Dehors! Intrus! DEHORS!» 

Ils peuvent crier autant qu'ils le veulent, rien ne me force à les écouter. 

«Je déciderai de qui est un intrus et qui ne l'est pas, dans mon propre foutu corps!» 

Mes pas résonnent alors que je me déplace, cherchant l'endroit ou je devrai commencer les modifications. Leur echo est parfait. Quelque part au milieu des rangées d'automates se trouve le noyau que je convoite. Le centre de mon psyché, caché derrière plusieurs couches de protection, autant mentales que physiques. Je dois l'assimiler en entier. Je vais l'assimiler en entier. Fondre avec toutes les facettes de mon être, en détruisant mes co-locataires indésirable.

«Ton(notre) coeur bat trop vite. Laisse moi(nous) régler ça. Une sieste peut-être? C'est possible...» 

Elles me parlent toutes à l'unison, leurs voix amplifiées par la haute et gigantesque voute qui recouvre ma machinerie intérieure. Tentant. Je dois sans cesse me rappeler que je suis en somme le tentateur, ainsi que le tenté. Ma voix se joint à la leur sans que je ne la commande. Dormir! Plus jamais. Je n'aurai plus besoin de m'embarasser en roupillant comme un vulgaire nourrisson, sans subconscient pour m'obliger à le faire. Je pourrai aller chercher l'énergie dont j'ai besoin ailleurs...quand les intrus ne seront plus filtrés que par moi.

« Ferme les yeux, ferme les yeux, ferme les yeux...»

Non! Suis-je en train d'essayer de me faire perdre connaissance? Quelle éhonterie!

«Allonge nous!»

Non! C'est une mutinerie!

«ÉTEINS NOUS!» Je ne peux m'empêcher de noter que les voix ne m'incluent plus dans leurs ordres.

Non!

«Tu ne peux pas nous réduire au silence! Tu n'as pas les aptitudes nécéssaires à la gestion de notre être. Personne ne peut diriger seul l'ensemble de ses facultés. Tu as besoin de subalternes...tu as besoin d'une âme. Tu voudrais même tuer ton âme? Réfléchis, c'est insensé!»

D'accord, j'y réfléchis. C'est fait. Je n'ai besoin ni «d'âme» ni d'inconscient, comme les autres, ces insectes. Je suis l'Eurynome. Me comparer à mes pairs stupides et emprisonnés est risible. Non pas que cela, de toute manière, ne soit utile à ce stade-ci de mes rénovations. Droit devant moi, le Noyau gît au sol, dissmulé entre deux titans de métal muets. Je me le réprésente ressemblant à un baladeur, comiquement énorme, tout en angles. Gris, anodin. Le rapprochement entre les voix diffusées dans l'usine et la boîte à musique est logique. Elle crie:

«Noirnoirnoirnoirnoirnoiréteintéteintéteint!» 

La cacophonie résultant du désespoir de mes otages fait pitié à entendre.

«Dehorsdehorsdehorsdehorsdehors!»

Presque terminée cette ridicule symphonie. Le radiocassette me semble anormalement léger alors que je le tiens au dessus de ma tête. Un aller simple vers le sol me redonnera ma liberté.

«Sois raisonnable...nous t'en prions. Nous ne voulons que ton bien...»

Le bruit du plastique qui se fend résonne sous le ciel de fer de mon usine...
...comme une berceuse inversée, chantée au réveil plutôt qu'au coucher.

Coucou!

Cet endroit est formidable. Longtemps, j'ai cherché la voie qui pourrait mener un être humain à outrepasser l'autorité des différentes individualités qui cohabitent dans son organisme. Longuement j'ai toléré ces parasites en moi. Ils avaient leur utilité, après tout. Ils régulaient ma respiration, réagissaient aux stimulis les plus insignifiants à ma place, ainsi qu'aux plus dangereux. S'occupaient silencieusement de mon métabolisme, défendaient mon système... Je n'entretiens aucune haine à leur égard, mais l'énergie potentielle gaspillée par ceux-ci m'est primordiale. Il est grand temps que je gagne mon indépendance, que je tue le pilote. Afin de continuer ma route vers cet horizon qui m'effraie, le contrôle de mon propre corps doit être mien, complètement. Le mur qui délimite le domaine de mes voisins psychiques ne tombera pas de sitôt. Pourtant, une brèche est possible. Je viens tout juste de la percer! Habilement, en manipulant mes pensées, en méditant. En utilisant diverses substances de mon cru... Le "comment" est aussi peu important que complexe. Il y a maintenant un passage, un trou perçant la barrière mentale invisible, me laissant entrer au sein des zones barricadées de mon cerveau. Intérieurement, je ressemble à une usine! Une usine fabriquant je-ne-sais-quoi. Probablement rien. Des rangées en apparence infinies de machines se dressent tout autour. C'est du moins de cette façon que mon cerveau se présente à moi, pour que je puisse le manipuler, insidieusement. Contre son gré, évidemment. Tromper mon inconscient est aussi étrange que le silence qui pèse dans la fabrique est oppressant.

Où l'on effectue des mouvements de personnel

«Eurynome Bartleby? C'est un nom, ça?» L'inquisiteur était visiblement confus. «Je n'ai jamais lu d'aussi incohérentes notes. Et la quantité...mises ensembles elle auraient la grosseur d'un dictionnaire. Bien sur, je ne les ai que survolées mais il m'apparait clair qu'elle sont l'oeuvre d'un homme qui à perdu toute raison. Je le savais eccentrique, voir même atteint d'un léger autisme mais...
-...son état est bien pire en réalité, » répondit l'interrogé, fixant sa plaque qui ne brillait plus autant que dans sa jeunesse. Son nom y était presque effacé. Converser avec ses employés l'ennuyait, surtout celui-là, plus alerte et moins introverti que les autres. Note mentale: le transférer vers un projet moins chaud.
«Est-ce là l'entièreté de son "oeuvre"?» L'employé nuisible pointait du doigt la pile de papier qu'il tenait.
«Non. Les documents que vous avez là ne forment que son premier "tome". J'en ai retiré six de son bureau, reliés grossièrement à l'aide d'agrafes. L'écriture n'est pas aussi intelligible dans ceux-la. Mais le thème est le même, d'après ce que j'ai pu en déchiffrer: Je vois des choses que personne ne voit...Je suis au abords d'un gouffre sans fond...des aneries égocentriques dignes d'un adolescent. Et des choses bien pires, bien plus violentes. Tout est signé du même pseudonyme.
-Eurynome Bartleby.

Votre suffisance me répugne, pensait l'employé.

-Celui-là exactement, quoique «signé» soit un grand mot. Il en a plutôt barbouillé ses textes. Évidemment, ce n'est pas son vrai nom.
-Quel est son problème exactement? Schizophrène, maniaque?
-Impossible de la savoir maintenant et c'est mieux ainsi. Nous pourrons beaucoup mieux performer en tant qu'entreprise sans cet énergumène dans les pieds, qui marmonne sans cesse des stupidités que seul lui comprend. Je l'ai mis à la porte il y a quelques heures, en lui souhaitant qu'il guérisse.» Ces souhaits empathiques lui avaient fait du bien, d'ailleurs, même s'il ne s'agissait que de mensonges pour se donner bonne conscience. En y repensant, il ne pouvait que se dire : J'aurais pu le jeter à la rue accompagné de cris et d'injures, mais j'ai été le meilleur homme de nous deux. Mature, compréhensif. Un meneur se doit d'agir dans l'intérêt de ses subordonnés. Il se sentait vertueux, ses actions légitimes.
«Vous avez certainement bien agi,» répondit son inférieur en pensant autrement. Il était certes évident qu'un homme aussi perturbé que «Bartleby» n'avait pas sa place au sein d'une entreprise, mais de la à le jeter dehors, sans aucune aide ou support... Rien d'étonnant venant de l'administration actuelle. Il ressentait une certaine pitié pour le pauvre homme.
«Ceci étant dit, je crois que je ferais mieux d'aller vider ses quartiers pour que l'on puisse au plus vite le remplacer. Malgré ses eccentricités, son apport scientifique nous à été très utile par le passé. Son absence se fera remarquer dans nos quotas, pour un temps.» Le subalterne ne révait que de quitter la compagnie de l'exécrable directeur. Sans attendre une réponse de sa part, il s'en fût.

Une phrase résonna dans ses pensées alors qu'il s'éloignait:
«Vous n'êtes pas aussi borné que nos collègues, mon cher. On m'éloignera d'ici, mais le travail qu'il me reste à accomplir se fera dans ma tête. Quand j'aurai fini mes réparations, je veillerai à ce que vous gardiez un peu de votre personnalité.»

Quoi?

Où on est bien caché

Elle me trouvera jamais! Le pro du cache-cache c'est moi, ohhh que ouais. Même que je devrais sortir de ma cachette et me rendre. Sinon je vais passer la nuit ici...

Hum? Qu'est-ce qu'il fait, ce monsieur? Il essaie d'attraper des mouches?

Comme autant de briques

C'est incroyable! Comment ai-je pu être aussi aveugle? Tout autour de moi prend une forme nouvelle! Les arbres, l'asphalte...l'air que je respire! Je vois tout ce qui constitue la matière. Pareilles aux briques qui donnent leur forme aux bâtiments, les particules infimes qui créent en s'agençant le monde m'aparaissent énormes. Encore une fois, la parole est incapable d'expliquer ce phénomène extraordinaire. Il semble que mes réflexions aient porté fruit. J'ai ouvert une porte au sein de mon esprit, une porte s'ouvrant sur tant de capacités gaspillées...Je n'y comprends encore rien, tellement cela s'impose à moi de façon naturelle. Personne d'autre ne pourrait aspirer à une vision pareille de choses, j'en suis assuré. Il me faut creuser plus loin. Comprendre ce qui m'arrive. La frayeur qui accompagne l'inconnu dans lequel je suis plongé est insoutenable, mais il y à cette conscience nouvelle en moi qui me pousse, qui m'enhardit et me réconforte. Elle me chante une berceuse si douce, si envoutante. Au travers de mes nouveaux yeux, les rouages de l'existance son aussi visibles qu'a portée de main. Et la voix qui me dit:
«Touche. Désunis. Reconstruis.»
Elle me dit de continuer à scruter les assemblages maladroits du monde physique. Pour comprendre l'algorithme qui fait qu'ils se tiennent. Et peut-être le contrôler.

Où on a peut-être vu Bartleby

«Son regard était absent. Sa démarche semblable à celle d'un ivrogne. Il marmonnait en gesticulant, comme s'il essayait d'attraper quelque chose. J'ai d'abord cru que c'était un sans-abri un peu fou.» La femme parlait lentement, visiblement sous le choc. Le policier qui l'interrogeait lui tendit une tasse de café. Quand elle la prit, ses idées semblèrent se clarifier, au moins un peu.
La couleur de ses yeux s'éclaircit d'un ton et elle recommença à parler, plus rapidement.
«Au bout d'un moment, il est tombé à genoux. Il grognait, se tordait. Quelque chose lui faisait du mal, mais quoi? Il ne pouvait pas s'être blessé en remuant parce que rien ne se trouvait près de lui. Pas d'arbre, pas d'autre personne. Rien. Il devait être malade, je ne sais pas...» La chaleur du breuvage lui faisait du bien et la cafféine lui redonnait graduellement son applomb. Voyant cela le policier décida de l'aiguiller dans une autre direction, celle qui l'intéressait. Il pensait, obligatoirement hypocrite: Elle elle complètement folle. Je ne veux que sortir d'ici et l'envoyer en parler avec un psychiatre.
« ...et c'est alors qu'il s'est jeté sur cette autre dame, exact? Celle qui à disparu?
-Oui. Tout en continuant à grogner, il s'est redressé, et à regardé autour de lui. Il cherchait un truc. Et puis il l'a aperçue. Mon dieu, je suis tellement heureuse qu'il ne m'aie pas vue d'abord. Je...
-Nous avons tout notre temps, madame. » lui dit l'intérogateur, d'une voix qui se voulait rassurante. Il sentait que que les murs se rapprochaient, tout en essayant de rester subtils. Comme pour écouter son récit.
«Elle se tenait à quelques...cent mètres je dirais. Loin du sentier, au fond du parc. Il s'est mis à courir -je n'ai jamais vu quelqu'un courir à cette vitesse- en beuglant des mots que je ne pouvais pas comprendre. Il l'a chargée comme un animal, monsieur. Comme un chien enragé. Je suis restée plantée la, sans trop savoir ce qui se passait. Elle ne l'a jamais vu venir et il l'a plaquée au sol, puis...» C'en était trop. La femme fondit en larmes. Malgré cela, elle se remit a raconter son histoire, courageusement.
«...puis il lui à martelé la tête avec ses poings, vicieusement. Encore et encore. Elle n'a pas pu crier. C'est à ce moment que je suis partie chercher de l'aide. Comprenez-moi, je n'aurais rien pu faire contre cet homme. Il était possédé. Je ne pouvais rien faire. Je...
-Je comprends. Vous avez fait ce que vous croyez le mieux. Personne ne vous accuse de quoi que ce soit. Souhaitez-vous que je vous laisse seule un instant?
-Non. Ça va aller, merci.» Aucun doute possible maintenant, se dit le policier. Les foutus murs se rapprochent, ils ondulent. Ma vision est totalement foutue. J'ai besoin de sommeil, d'une douche et d'un bon verre de rhum. Cette femme déraille totalement, et ça devient contagieux. Finissons-en.
«Les agents de police qui ont inspecté le parc rapportent n'avoir trouvé aucun cadavre dans ce parc. De même, il n'ont trouvé aucune trace de l'homme dont vous me décrivez les actions. Avez-vous consommé des narcotiques dans les heures qui on précédé votre témoignage?
-Bien sur que non! Vous me prenez pour quoi, une droguée? J'ai passé l'âge, monsieur! Vous saurez que...» Il l'interrompit, peu enclin à lui accorder le loisir de se défendre.
«Seriez-vous prête à passer au détecteur de mensonges? Si il s'avérait que vous soyez en train de perdre mon temps, je pourrais vous poursuivre.» La dame avait cessé de pleurnicher, son angoisse remplacée par une rage excessive. Insultée au delà de tout contrôle. Le policier n'y portait plus attention, son esprit ayant déjà quitté la pièce. Elle serait relâchée dans quelques instant, et cette histoire ne serait plus qu'un mauvais souvenir, éphémère.
«Mais, mais...je l'ai VU!»

Cause toujours. Rien à foutre.



Bribes de souvenirs

J'ai peine à me souvenir...Ma mémoire est envahie par un brouillard épais, presque solide. D'une certaine manière, je crois que l'on essaie de m'en séparer. Pour préparer la suite, peut-être.

«Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient.»
Ma mère me disait cela, il me semble. Je ne peux plus distinguer son visage. Même sa voix ne me revient pas. C'est dommage, mais ce doit être un sacrifice nécessaire. Il viendra un moment où je ne me souviendrai plus de ce mot. Où cela ne m'émouvra plus.

"Mère".
Le concept finira pas m'échapper, et je ne le remarquerai pas. Bien des choses s'effaceront de cette façon. Suis-je vraiment prêt à tout laisser derrière? Une partie de moi s'accroche toujours à ce que j'ai été. Sera-t-elle assimilée par cette nouvelle volonté qui m'habite? De telles pensées m'effraient un peu. Je me sens devenir autre chose...

Non, c'est faux. Je reste moi-même. Je ne fais que gagner en complexité, en tatonnant dans l'obsurité. Il me reste beaucoup de chemin à faire.

Beaucoup de chemin à faire pour devenir la Fin elle-même.

Où on se souvient de Bartleby

«Beaucoup de choses échappent à votre regard», dit l'homme se tenant dans l'embrasure de la porte. Il fixait le sol, pensif.
«C'est possible. Mais même en supposant que vous ''voyez'' ces choses qui nous échappent à tous, vous ne seriez pas au dessus des règles qui nous sont imposées. Cela ne ferait pas de vous quelqu'un de meilleur ou de pire que vos pairs, ici. Votre égocentrisme démesuré nuit à nos projets, et vos initiatives personnelles sont d'une répugnance qui dépasse l'entendement», répondit son interlocuteur, autoritaire. La lumière d'un blanc immaculé qui irradiait la pièce donnait à la scène un aspect divin, grandiose.
«Vous devez partir. Vous ne pouvez être qu'un frein pour vos collègues et vous finirez probablement par vous détruire. Ou vous passerez le reste de votre existence derrière les barreaux. Je vous souhaite sincèrement de trouver de l'aide et de guérir. Toutefois, vous devrez le faire hors de ces lieux.» L'homme dans la porte leva alors la tête, jetant à son homologue un regard glacial, ses yeux minuscules laissant entrevoir la haine cachée derrière. L'air devint perceptiblement plus lourd.
«Soit. J'irai traiter mes faiblesses dans d'autres endroits», rétorqua ce dernier, menaçant.
«Mais ne soyez pas surpris si le remède à mes maux implique une sérieuse détérioration de votre qualité de vie, ainsi que de celle de vos comparses aveugles. Vous ne pouvez pas comprendre la nature de ce que j'accomplirai bientôt.» L'homme franchit la porte, laissant la pièce silencieuse.

Et beaucoup moins inquiétante.

En marche, lentement (Bartleby 1.0)

J'ai mis les pieds dans quelque chose de tellement grand, de tellement majestueux que je n'arrive pas à penser clairement. On dit de moi que je suis un génie. Cette appelation me va, car je me sais moi-même capable de bien mieux que les balbutiement cognitifs et perceptionnels attribuables à mes frères attardés. Cela ne m'est d'aucune aide à présent. Je me lance dans quelque chose que personne ne peut comprendre, pour voyager vers quelque chose que je ne comprends pas davantage. C'est effrayant. Non, que dis-je, c'est terriblement effrayant...et excitant. Je suis différent, unique. A travers mes incertitudes, je crois au moins en cela. Je marche sur une voie qui n'a été tracée que pour moi. Une route droite et déserte, s'étendant à perte de vue, se perdant dans un horizon plus lointain que la distance elle même. Il m'est impossible d'en imaginer la fin, et ce qui s'y trouve échappe à ma compréhension des choses, aussi vaste soit-elle. Cela est d'une beauté qui me laisse sans mots, d'une beauté tellement abstraite, tellement au delà de ce que je puis exprimer, qu'il me faudrait inventer un tout nouveau concept pour la décrire. Advenant que je réussisse un tel exploit, ce concept serait d'une abstraction telle que je ne pourrais pas le comprendre. Ridicule! Mes pensées s'embrouillent devant la majesté de l'inconnu, au bout du chemin.

Tellement loin...