Où l'on effectue des mouvements de personnel

«Eurynome Bartleby? C'est un nom, ça?» L'inquisiteur était visiblement confus. «Je n'ai jamais lu d'aussi incohérentes notes. Et la quantité...mises ensembles elle auraient la grosseur d'un dictionnaire. Bien sur, je ne les ai que survolées mais il m'apparait clair qu'elle sont l'oeuvre d'un homme qui à perdu toute raison. Je le savais eccentrique, voir même atteint d'un léger autisme mais...
-...son état est bien pire en réalité, » répondit l'interrogé, fixant sa plaque qui ne brillait plus autant que dans sa jeunesse. Son nom y était presque effacé. Converser avec ses employés l'ennuyait, surtout celui-là, plus alerte et moins introverti que les autres. Note mentale: le transférer vers un projet moins chaud.
«Est-ce là l'entièreté de son "oeuvre"?» L'employé nuisible pointait du doigt la pile de papier qu'il tenait.
«Non. Les documents que vous avez là ne forment que son premier "tome". J'en ai retiré six de son bureau, reliés grossièrement à l'aide d'agrafes. L'écriture n'est pas aussi intelligible dans ceux-la. Mais le thème est le même, d'après ce que j'ai pu en déchiffrer: Je vois des choses que personne ne voit...Je suis au abords d'un gouffre sans fond...des aneries égocentriques dignes d'un adolescent. Et des choses bien pires, bien plus violentes. Tout est signé du même pseudonyme.
-Eurynome Bartleby.

Votre suffisance me répugne, pensait l'employé.

-Celui-là exactement, quoique «signé» soit un grand mot. Il en a plutôt barbouillé ses textes. Évidemment, ce n'est pas son vrai nom.
-Quel est son problème exactement? Schizophrène, maniaque?
-Impossible de la savoir maintenant et c'est mieux ainsi. Nous pourrons beaucoup mieux performer en tant qu'entreprise sans cet énergumène dans les pieds, qui marmonne sans cesse des stupidités que seul lui comprend. Je l'ai mis à la porte il y a quelques heures, en lui souhaitant qu'il guérisse.» Ces souhaits empathiques lui avaient fait du bien, d'ailleurs, même s'il ne s'agissait que de mensonges pour se donner bonne conscience. En y repensant, il ne pouvait que se dire : J'aurais pu le jeter à la rue accompagné de cris et d'injures, mais j'ai été le meilleur homme de nous deux. Mature, compréhensif. Un meneur se doit d'agir dans l'intérêt de ses subordonnés. Il se sentait vertueux, ses actions légitimes.
«Vous avez certainement bien agi,» répondit son inférieur en pensant autrement. Il était certes évident qu'un homme aussi perturbé que «Bartleby» n'avait pas sa place au sein d'une entreprise, mais de la à le jeter dehors, sans aucune aide ou support... Rien d'étonnant venant de l'administration actuelle. Il ressentait une certaine pitié pour le pauvre homme.
«Ceci étant dit, je crois que je ferais mieux d'aller vider ses quartiers pour que l'on puisse au plus vite le remplacer. Malgré ses eccentricités, son apport scientifique nous à été très utile par le passé. Son absence se fera remarquer dans nos quotas, pour un temps.» Le subalterne ne révait que de quitter la compagnie de l'exécrable directeur. Sans attendre une réponse de sa part, il s'en fût.

Une phrase résonna dans ses pensées alors qu'il s'éloignait:
«Vous n'êtes pas aussi borné que nos collègues, mon cher. On m'éloignera d'ici, mais le travail qu'il me reste à accomplir se fera dans ma tête. Quand j'aurai fini mes réparations, je veillerai à ce que vous gardiez un peu de votre personnalité.»

Quoi?

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