Où on a peut-être vu Bartleby

«Son regard était absent. Sa démarche semblable à celle d'un ivrogne. Il marmonnait en gesticulant, comme s'il essayait d'attraper quelque chose. J'ai d'abord cru que c'était un sans-abri un peu fou.» La femme parlait lentement, visiblement sous le choc. Le policier qui l'interrogeait lui tendit une tasse de café. Quand elle la prit, ses idées semblèrent se clarifier, au moins un peu.
La couleur de ses yeux s'éclaircit d'un ton et elle recommença à parler, plus rapidement.
«Au bout d'un moment, il est tombé à genoux. Il grognait, se tordait. Quelque chose lui faisait du mal, mais quoi? Il ne pouvait pas s'être blessé en remuant parce que rien ne se trouvait près de lui. Pas d'arbre, pas d'autre personne. Rien. Il devait être malade, je ne sais pas...» La chaleur du breuvage lui faisait du bien et la cafféine lui redonnait graduellement son applomb. Voyant cela le policier décida de l'aiguiller dans une autre direction, celle qui l'intéressait. Il pensait, obligatoirement hypocrite: Elle elle complètement folle. Je ne veux que sortir d'ici et l'envoyer en parler avec un psychiatre.
« ...et c'est alors qu'il s'est jeté sur cette autre dame, exact? Celle qui à disparu?
-Oui. Tout en continuant à grogner, il s'est redressé, et à regardé autour de lui. Il cherchait un truc. Et puis il l'a aperçue. Mon dieu, je suis tellement heureuse qu'il ne m'aie pas vue d'abord. Je...
-Nous avons tout notre temps, madame. » lui dit l'intérogateur, d'une voix qui se voulait rassurante. Il sentait que que les murs se rapprochaient, tout en essayant de rester subtils. Comme pour écouter son récit.
«Elle se tenait à quelques...cent mètres je dirais. Loin du sentier, au fond du parc. Il s'est mis à courir -je n'ai jamais vu quelqu'un courir à cette vitesse- en beuglant des mots que je ne pouvais pas comprendre. Il l'a chargée comme un animal, monsieur. Comme un chien enragé. Je suis restée plantée la, sans trop savoir ce qui se passait. Elle ne l'a jamais vu venir et il l'a plaquée au sol, puis...» C'en était trop. La femme fondit en larmes. Malgré cela, elle se remit a raconter son histoire, courageusement.
«...puis il lui à martelé la tête avec ses poings, vicieusement. Encore et encore. Elle n'a pas pu crier. C'est à ce moment que je suis partie chercher de l'aide. Comprenez-moi, je n'aurais rien pu faire contre cet homme. Il était possédé. Je ne pouvais rien faire. Je...
-Je comprends. Vous avez fait ce que vous croyez le mieux. Personne ne vous accuse de quoi que ce soit. Souhaitez-vous que je vous laisse seule un instant?
-Non. Ça va aller, merci.» Aucun doute possible maintenant, se dit le policier. Les foutus murs se rapprochent, ils ondulent. Ma vision est totalement foutue. J'ai besoin de sommeil, d'une douche et d'un bon verre de rhum. Cette femme déraille totalement, et ça devient contagieux. Finissons-en.
«Les agents de police qui ont inspecté le parc rapportent n'avoir trouvé aucun cadavre dans ce parc. De même, il n'ont trouvé aucune trace de l'homme dont vous me décrivez les actions. Avez-vous consommé des narcotiques dans les heures qui on précédé votre témoignage?
-Bien sur que non! Vous me prenez pour quoi, une droguée? J'ai passé l'âge, monsieur! Vous saurez que...» Il l'interrompit, peu enclin à lui accorder le loisir de se défendre.
«Seriez-vous prête à passer au détecteur de mensonges? Si il s'avérait que vous soyez en train de perdre mon temps, je pourrais vous poursuivre.» La dame avait cessé de pleurnicher, son angoisse remplacée par une rage excessive. Insultée au delà de tout contrôle. Le policier n'y portait plus attention, son esprit ayant déjà quitté la pièce. Elle serait relâchée dans quelques instant, et cette histoire ne serait plus qu'un mauvais souvenir, éphémère.
«Mais, mais...je l'ai VU!»

Cause toujours. Rien à foutre.



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