C'est moi!

L'air est lourd de poussière, de rouille. Presque irrespirable. Il va sans dire que personne ne devait marcher au sein des murs de cette manufacture jusqu'a présent imperturbable. Peu importe. Je sais que ma présence ici n'est qu'illusoire. Un outil pour arriver à mes fins. J'entend mes comparses imposés crier:

 «Dehors! Intrus! DEHORS!» 

Ils peuvent crier autant qu'ils le veulent, rien ne me force à les écouter. 

«Je déciderai de qui est un intrus et qui ne l'est pas, dans mon propre foutu corps!» 

Mes pas résonnent alors que je me déplace, cherchant l'endroit ou je devrai commencer les modifications. Leur echo est parfait. Quelque part au milieu des rangées d'automates se trouve le noyau que je convoite. Le centre de mon psyché, caché derrière plusieurs couches de protection, autant mentales que physiques. Je dois l'assimiler en entier. Je vais l'assimiler en entier. Fondre avec toutes les facettes de mon être, en détruisant mes co-locataires indésirable.

«Ton(notre) coeur bat trop vite. Laisse moi(nous) régler ça. Une sieste peut-être? C'est possible...» 

Elles me parlent toutes à l'unison, leurs voix amplifiées par la haute et gigantesque voute qui recouvre ma machinerie intérieure. Tentant. Je dois sans cesse me rappeler que je suis en somme le tentateur, ainsi que le tenté. Ma voix se joint à la leur sans que je ne la commande. Dormir! Plus jamais. Je n'aurai plus besoin de m'embarasser en roupillant comme un vulgaire nourrisson, sans subconscient pour m'obliger à le faire. Je pourrai aller chercher l'énergie dont j'ai besoin ailleurs...quand les intrus ne seront plus filtrés que par moi.

« Ferme les yeux, ferme les yeux, ferme les yeux...»

Non! Suis-je en train d'essayer de me faire perdre connaissance? Quelle éhonterie!

«Allonge nous!»

Non! C'est une mutinerie!

«ÉTEINS NOUS!» Je ne peux m'empêcher de noter que les voix ne m'incluent plus dans leurs ordres.

Non!

«Tu ne peux pas nous réduire au silence! Tu n'as pas les aptitudes nécéssaires à la gestion de notre être. Personne ne peut diriger seul l'ensemble de ses facultés. Tu as besoin de subalternes...tu as besoin d'une âme. Tu voudrais même tuer ton âme? Réfléchis, c'est insensé!»

D'accord, j'y réfléchis. C'est fait. Je n'ai besoin ni «d'âme» ni d'inconscient, comme les autres, ces insectes. Je suis l'Eurynome. Me comparer à mes pairs stupides et emprisonnés est risible. Non pas que cela, de toute manière, ne soit utile à ce stade-ci de mes rénovations. Droit devant moi, le Noyau gît au sol, dissmulé entre deux titans de métal muets. Je me le réprésente ressemblant à un baladeur, comiquement énorme, tout en angles. Gris, anodin. Le rapprochement entre les voix diffusées dans l'usine et la boîte à musique est logique. Elle crie:

«Noirnoirnoirnoirnoirnoiréteintéteintéteint!» 

La cacophonie résultant du désespoir de mes otages fait pitié à entendre.

«Dehorsdehorsdehorsdehorsdehors!»

Presque terminée cette ridicule symphonie. Le radiocassette me semble anormalement léger alors que je le tiens au dessus de ma tête. Un aller simple vers le sol me redonnera ma liberté.

«Sois raisonnable...nous t'en prions. Nous ne voulons que ton bien...»

Le bruit du plastique qui se fend résonne sous le ciel de fer de mon usine...
...comme une berceuse inversée, chantée au réveil plutôt qu'au coucher.

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