(Les) Promenades

Je venais souvent flâner ici. Jamais rien dans les poches, jamais rien de mieux à faire. Je marchais, en regardant les gens. En les étudiant. Aucune affection pour eux, cependant, ne me poussait à les dévisager, jour après jour. C'était la haine qui guidait me yeux et me faisait scruter leurs faciès débiles. La condescendance qui me faisait les insulter, intérieurement. L'ennui, aussi. Haïr permet de se changer les idées. Personne ne m'attendait nulle part, ni chez moi, ni ailleurs. De plus, je ne possédais pas le talent qui permettait à mes semblables de se divertir, cette imagination vivante et bizarre qui leur soufflait: «Tu aimerais bien bricoler.»

«Tu aimerais bien écrire. Ou lire.»

«Tu aimerais te battre. Et boire.»

Non. La seule chose, à cette époque, qu'il m'ait importé d'accomplir était de marcher. Une grande marche taillée en plusieurs actes par les habituels contretemps que sont le sommeil et la nécessité de manger, bien entendu. Quoique «accomplir» soit un bien grand mot, je l'admet, vu la futilité d'une telle entreprise. Même en la pratiquant mieux qui quiconque. C'était le cas. Personne ne pouvait marcher plus longtemps que moi. Une fois que mon esprit se concentrait sur les visages de mes pairs, je pouvais avancer presque indéfiniment. Des jours durant je me privais de nourriture, je m'interdisais le repos autant qu'humainement possible. Puis au delà. J'accumulais les pas tout en haïssant chaque être humain croisant ma route. J'enviais leur naïveté. Cette confiance aveugle en la vie qui resplendissait dans leur yeux. L'illusion imbécile d'être en sécurité tant que leurs cellulaires leur rappelleraient qu'ils étaient en vie. Une symbiose dégoûtante et salutaire pour une masse de ratés.

Il n'y a pas de téléphones, la ou vous allez.

J'ai marché, chaque jour, pendant un peu plus de...cinq? Dix ans? Les évènements propres à une vie humaine se succédaient...signes imperceptibles d'une vie se déroulant...se déroulant... Je ne le remarquais pas. Jusqu'à ce qu'il arrive. L'Eurynome. Personne ne l'a vu s'approcher. Il voyageait, invisible, occupant un espace intouchable et ainsi caché il put sournoisement encercler les environs...

Je peux te sentir, Eurynome. Ton odeur est subtile mais bel et bien présente. Ne vois-tu pas que je marche pour toi depuis des années? Que sans le savoir, tout ces pas je les ai faits pour te les éviter? J'attendrai. Fais-moi disparaître le dernier et je te donnerai en échange mon âme. Une servitude éternelle, plus durable que le temps lui-même. Une alliance survivant au minutes, aux heures! À la décrépitude propre au organismes vivants! Je serai ta colère, Eurynome. Et quoique tu n'en manque pas, je serai plus que tout ta RAGE. La substance immatérielle qui te permettra de briser les barrières entre le monde du visible et celui de l'inconnu...

Oui. Je peux le voir maintenant. Étant le dernier vivant, je peux le voir. Dehors, il entoure le bâtiment de sa masse ethérée, loin au-delà de ma rage primitive. Il me fait sembler insignifiant. Soit. Je préfère l'insignifiance qu'il me propose à celle de mes pairs.

J'ai assez marché. Eurynome! Je te sais avide de personnalités pouvant complémenter la tienne. Ensembles, nous pourrons aller beaucoup plus loin...




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