Je peux sentir les poils de mes bras se hérisser alors
que je glisse, droit comme une flèche, jusqu’au fond du long cylindre de métal.
Sa froideur est pour moi aussi confortable qu’un hamac, et quoique je devrais
m’y sentir étouffé, étranglé, pris au piège dans la plus primaire des
claustrophobies, je me sens dans mon élément. Entravé, mais libre. Entouré des
chaînes libératrices de l’Ascendance. En contrôle, dans un univers de feu et
d’acier.
J’atteins la paroi inférieure de cet incongru
habitacle, et tout se met en place, moi y compris. Rien ne fait plus aucun
doute. Rien n’est plus important et pourtant, tout compte. Car ici, à
l’intérieur même de la passion qui me permet d’avancer, de la raison qui, il y
a de cela des décennies, m’a mis au monde, il n’y a ni blanc ni noir. Il n’y a
que du gris, du peut-être, du chaos embouteillé.
L’odeur de la poudre endort mes appréhensions et
tranquillise ma conscience. Mes yeux, fermés pour les protéger du prochain
acte, voient plus clair que jamais. Je suis l’avènement des beaux jours, le
messager de l’espoir de milliers de gens, le porteur de la torche qui illumine
leur vie, au moins provisoirement. Je leur apporte un peu de bien-être en
emmenant vers le ciel une partie de ma sérénité. Du moins, je l’interprète
ainsi, justement ou pas. C’est bientôt pour moi un nouveau départ.
J’entends le grattement qui signale le commencement de
la plus brève, mais de la plus merveilleuse des symphonies. Une poignée de
secondes me séparent de mon devoir.
J’attends...
J’attends?
N’est-ce pas plutôt Tout Le Reste qui m’attend? Les
personnes qui sans le savoir anticipent ma venue ont mis les métaphoriques
couverts sur la table du destin. Oui... je me souviens maintenant d’avoir reçu
l’invitation... Je suis à la fois l’hôte et le convive.
Nous nous attendons mutuellement, donc, moi et la
flèche du temps. Elle laisse le futur à la merci de mon tracé d’Artiste.
Je lève la tête alors que la Détonation retentit dans
mes oreilles, les inondant d’une douleur bienvenue. Un puissant souffle
prend naissance sous mes pieds, et je suis propulsé hors du canon. Le contraste
est presque trop brusque. Du gris foncé au gris pâle, une couleur que je sais
apprécier. En bas pourtant, le peuple ne voit pas sa beauté. Il n’y voit que du
morose, de la tristesse. Le peuple est atteint d’un daltonisme héréditaire
bizarre qui lui fait confondre mon gris et le Noir. Peu importe. Je pourfendrai
le mauvais temps qu’il déteste tant, et dans mon élan, je percerai le linceul
céleste pour livrer la couleur qu’il espère. Mon patron est presque aveugle,
mais je me plie à ses caprices avec joie. Avec la dignité qui accompagne ma
fonction.
Je fonce toujours plus haut. Il me semble que jamais
je ne serai assez haut. Malgré cela, je peux presque atteindre mon but. Le vent
plaque mes vêtements contre ma peau, et je traverse l’espace à une vitesse
vertigineuse, plus vite que n’importe lequel des faux oiseaux créés par
l’homme. Et puis j’aperçois mon objectif. Il flotte, nonchalant, au dessus de la
tête du peuple en attendant de verser sur lui sa source de vie. Ses pairs
l'entourent, aussi stoïques. Je ne les hais pas personnellement, mais je sers
mon patron le peuple loyalement, et je veux son bonheur.
Soit. Je remplacerai le gris par le bleu. Je le
détruirai, malgré la futilité de cette entreprise, pour que mon supérieur superficiel
puisse jouir des teintes qu'il désire. Je le ferai encore plusieurs fois, autant
aujourd’hui qu'en d’autres jours.
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