L'usine silencieuse

Un pas en suivant un autre, vous entrez dans l'immense espace.

L'air est lourd. Son épaisseur semblable à du caramel, irrespirable.
Vous sentez le métal de vos chaînes, la puanteur de billets de banque.

L'air est léger, c'est de l'eau fraîche.
Vous sentez vos couvertures.
Vous sentez les rayons d'un soleil qui ne brille que pour vous.

Un pas après l'autre, vous avez l'impression d'avancer.
Seule ne laissant aucun doute la pesanteur de vos bottes.

L'air se raréfie. Il ne vous reste plus, pour respirer, que du temps.
Il ne vous reste plus qu'a respirer des airs passés.
Une vieille berceuse est votre oxygène.

Un pas à la suite de l'autre. Indépendants de votre volonté.
Leur mouvement immuable, la pesanteur accrue.

Le plafond est bas, la claustrophobie vous assaille.
Vous avancez au sein d'un cercueil.
Il vous tient au chaud.

Le plafond disparaît. Vous êtes libre.
Stationnaire dans un berceau plus gros que le vide.
Le vent souffle. Glacial.

Un pas... et puis un autre. Vos semelles se détachent, leurs talons fondent.
Vos poings crispés sont plus lourds encore.

Autour, d'imposantes machines oeuvrent, menaçantes.
Ni pourquoi ni comment, mais avec persévérance.
Elles ne font aucun bruit.

Et vos pas non plus.

Autour, les machines.
Espacées par une distance incalculable.
Vous tombez à genoux.

Debout.
Il reste des pas à faire. Bien d'autres encore, à ne pas faire.
Votre sang est bouillant. Il fait fondre vos chaînes en coulant le long de vos bras.

Debout.
Vos cris sont inaudibles. Vos poings faits de verre.
Il n'y a personne à combattre ici. Aucune révolte qui ne soit déjà en branle.

Un pas, c'est un début. Respirez l'odeur des cadavres.
Vous êtes aveugle, c'est votre seul repère.

Un pas, et puis deux. Vous êtes en route. Le métal incandescent des maillons brisés est moins lourd.
Vos pieds nus sont faciles à déplacer.

Quelque part, au milieu de l'usine silencieuse, il n'y aura plus de pas.
Il n'y aura plus de poids.

Ou peut-être pas.

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